Le soi-disant "empire judéo-américain":
une mystification de plus
Comité Montreuil-Palestine, Des sionistes avec
Goliath, novembre 2004 (extraits) |
Il est un fait qu'au sein du mouvement de soutien au peuple
palestinien dans sa lutte contre la domination sioniste existent des
manifestations d'antisémitisme, véhiculées à travers un certain nombre
d'affabulations au sujet de la “nature” des Juifs, comme par exemple l'idée que
grâce à des prédispositions particulières ils domineraient le système bancaire
mondial, ou que la politique appliquée par les présidents des USA serait
décidée en fait par les “lobbies juifs”.
Selon Israël Shamir, journaliste juif né en Russie et immigré en Israël, "les Etats-Unis, sous l'impulsion des Juifs américains, ont décidé de commencer la troisième guerre mondiale" qui "vise à établir un grand empire judéo-américain, pour subjuguer le monde […]"[1]. L'affirmation n'est pas valable, en premier lieu parce que "les juifs américains" en général ne sont nullement responsables de la politique du gouvernement des USA. Ceci dit, I. Shamir évoque des références concrètes[2]: "Ces gens qui ont soutenu la guerre contre l'Irak sont les disciples de L. Strauss, de l'université de Chicago. L. Strauss est un penseur juif très influent qui a fait école dans ces milieux néo-libéraux. Il a répandu l'idée qu'il est nécessaire de combattre l'islam et la christianité. C'est pourquoi dans leur esprit, c'est d'une certaine façon d'une guerre de religion qu'il s'agit. Eux, en ce moment, croient qu'ils peuvent vaincre le monde entier."
Imputer ainsi à "un penseur juif" la paternité de la
volonté de domination qui guide le gouvernement américain, c'est une
mystification qui dissimule la véritable nature des entreprises guerrières
américaines. Ce sont les forces économiques qui, fondamentalement, orientent
les acteurs politiques; ce sont elles aussi qui alimentent l'instrument
militaire indispensable. La guerre déclenchée par les USA pour occuper l'Irak a
amplement mis en lumière ce fait. Quant aux "penseurs" ‑ certains
juifs, d'autres non ‑ qui, au plan idéologique, répandent des
versions diverses et variées sur les prétendus motifs guidant les actions
gouvernementales, ils ne sont que des propagandistes dont se servent les
dirigeants politiques pour faire accepter leurs programmes conçus pour être au
service de la classe capitaliste. Bien entendu, la fable de "l'empire judéo-américain" se décline également dans le domaine
économique. Les commentateurs ne manquent pas pour énumérer des hommes
d'affaires “judéo-américains”: Rothschild, Lazard, Bronfman, Soros, etc[3].
Cependant, parmi les personnalités les plus riches du monde, qui trouve-t-on?
William H. Gates (en tête) et Paul Gardner Allen, actionnaires de
Microsoft, ou encore le sultan Hassanal Bolkiah de Brunei et la reine Beatrix des Pays-Bas. Bref,
les Juifs influents dans les milieux d'affaires s'enrichissent non pas parce
qu'ils sont juifs, mais parce qu'ils agissent en tant que capitalistes, en tant
que membres d'une classe dominante qui vit en exploitant les autres couches de
la population.
En ce qui concerne les capitalistes juifs, rien ne les
particularise en tant que tels. Qui plus est, pour ceux ayant acquis un statut
influent au plan mondial, le sort de l'Etat d'Israël leur importe peu:
qu'Israël disparaisse de la carte ne changera rien à leurs affaires (contrairement,
bien entendu, à ce qui est le cas pour les entrepreneurs de moindre envergure
pour lesquels la marche de leurs affaires peut être étroitement liée à la
situation d'Israël, comme par exemple pour ce fabricant de fils barbelés qui
craint des problèmes de débouchés au cas où la construction de la “clôture de
sécurité” en Cisjordanie serait abandonnée[4]).
Par contre, l'intervention des mercenaires et marchands d'armes mentionnés ici
est fortement tributaire de la nature de l'Etat d'Israël qui offre un point
d'appui, la logistique et des sources de savoir-faire précieux. En ce domaine,
tout le monde n'est pas aussi bien placé que ceux qui peuvent bénéficier, du
fait de leur nationalité et de leur passé personnel, des relations privilégiées
avec les milieux politiques et militaires israéliens, les services secrets en
particulier. Mais, bien entendu, là pas plus qu'ailleurs, il n'y a
d'exclusivité.
Ce qui nous amène à quelques remarques sur les rapports entre
Israël et les USA. Ils ne sont nullement unilatéraux, ni dans un sens ni dans
l'autre. Certes, les USA fournissent une aide financière substantielle à
Israël, au point que la perte de ces ressources jetterait Israël dans une
situation éminemment critique. Néanmoins, il n'en découle pas qu'Israël serait
acculé à agir en simple marionnette téléguidée par le gouvernement des USA. Les
péripéties récentes autour de la "feuille de route" en sont la
preuve. D'un autre côté, le rôle des groupes de pression pro-israéliens
aux USA est sans doute extrêmement important. Mais si les questions politiques
seraient tranchées en premier lieu par ce biais, la population blanche aurait
déjà perdu le pouvoir au profit des noirs et des hispaniques. Par ailleurs,
sous un certain angle, les proportions attribuées au phénomène du “lobby juif”
reposent sur une illusion d'optique. Ce sont bien les caractéristiques
particulières de l'Etat d'Israël, notamment le fait qu'il ne dispose d'aucune
ressource importante de matières premières, qui font que le recours aux groupes
de pression revêt une importance particulière, alors que par exemple l'Arabie
saoudite ou l'Iran disposent des richesses pétrolières que l'on sait, qui leur
fournissent la base pour une action politique autonome. Ils s'en servent
d'ailleurs de façon variée: tandis que l'Iran tient tout simplement tête aux
USA (jusqu'à un certain point), l'Arabie saoudite se ménage l'autonomie
nécessaire pour à la fois agir en allié essentiel des USA, soumettre ceux-ci à
la pression liée à l'importance des moyens financiers saoudiens investis aux
USA et intervenir aussi activement dans les filières adverses des mouvements
islamistes.
Israël n'est ni le chien fidèle des USA ne faisant qu'obéir à la
voix de son maître, ni le dieu tout-puissant tirant les ficelles dans le dos de
présidents-fantoches américains. Simplement, ses
relations avec les forces impérialistes ont toujours été basées sur le principe
du “donnant-donnant”. Dès le 19ème siècle, Theodor
Herzl, le premier dirigeant du mouvement sioniste organisé, se tourne vers les
Turcs[5]:
"Si Sa Majesté le Sultan nous donnait
L'histoire suivant son cours, le mouvement sioniste s'est
pendant quelques décennies appuyé sur l'impérialisme britannique, lequel à son
tour soutenait celui-ci dans certains limites, dans la mesure où cela était
susceptible de favoriser la réalisation de ses propres objectifs. Puis,
l'impérialisme américain étant devenu prépondérant, des rapports similaires se
sont établis entre Israël et les USA. Pour Israël, le soutien massif de la part
des USA est précieux; pour les USA, l'existence d'Israël, étant donnée sa
nature politique, est un élément important pour le maintien de sa domination au
Moyen-Orient. Mais les faits évoqués dans la deuxième partie de ce texte
mettent en lumière que l'influence des forces politiques et militaires liées
directement ou indirectement à Israël joue un rôle important de soutien à
l'impérialisme mondial, en particulier celui américain, au-delà du cadre
géopolitique régional. Et du point de vue d'Israël, il ne s'agit pas d'actions
purement “altruistes”. Les interventions dans des régions à première vue sans
rapport avec Israël (comme l'Amérique centrale) constituent le prolongement
naturel de celles qui ont des motifs plus immédiats (comme la coopération avec
la Turquie contre le mouvement kurde ou les manipulations visant à jouer l'Iran
contre l'Irak, ou les rapports avec l'Afrique du Sud du temps du régime de
l'Apartheid).
Bref, il est erroné de définir la domination que subissent les peuples du monde comme un phénomène rattaché à tel ou tel pays. Cette domination n'est ni sera exclusivement américain, ni “judéo-américain”, ni d'ailleurs “russe”, “islamique”, “jaune” ou autre. Les forces économiques sur lesquelles repose cette domination sont à la fois unies mondialement par leur nature unique, celle inhérente au système économique capitaliste, et éparpillées, voire opposées entre elles du fait de multiples phénomènes de concurrence. Chacune des puissances, plus ou moins grandes, y a sa part, chacune tente de se réserver des chasses gardées, plus ou moins exclusives en fonction de ses moyens: les USA sur le continent américain, la Russie en Asie centrale, la France en Afrique, Israël en Palestine, ... Et d'ailleurs la plupart des pays, même parmi ceux qui en subissent les conséquences, s'inscrivent dans cet “ordre planétaire” par une acceptation ‑ directe ou indirecte ‑ des mécanismes de ce partage du monde qui se fait bien entendu au profit d'une infime minorité des populations.
[1]. Israël Shamir, "Notre devoir est de dire
ce que l'on croit juste" (Interview de Silvia Cattori), 2003.
http://www.jerusalemites.org/articles/french/jan2004/26.htm.
[2]. Idem.
[3]. Le Baron Edmond James de Rothschild était le
principal financier du mouvement sioniste à ses débuts. Les trois frères
Alexandre, Simon et Elie Lazard fondèrent au 19ème
siècle la banque d'investissement Lazard Frères.
Samuel Bronfman constitua en 1928 la société Distillers Corporation-Seagrams Ltd., et actuellement Edgar M. Bronfman
Sr et Jr, gèrent la fortune
familiale au gré des opportunités, par exemple par l'acquisition d'une
participation dans Vivendi Universal. Georges Soros dirige le fonds d'investissement Quantum Fund.
[4]. Voir le film "Route 181, fragments d'un
voyage en Palestine-Israël" (2003), d'Eyal Sivan (Israélien) et Michel Khleifi (Palestinien).
[5]. Theodor Herzl, L'Etat
juif, Paris, 1926, p. 95.
[6]. La Palestine en question, Alger, Ed. SNED, p. 35.
[7]. Idem,
p. 36.
[8]. Idem,
p. 46.